Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Une parenthèse pour écrire

COUPS de FOUDRE

Elle rêvait, éveillée, souvent lui venait la pensée de l’intérêt de sa Vie avant.

        Ils fréquentaient le même lycée, dans des classes différentes de terminale et se préparaient à passer leurs examens de fin d’année.

            C’est sous un chêne, le jour du « père cent », que le choc s’était produit : COUP de FOUDRE !

      J-100 avant le BAC, suivant un rituel, les étudiants déploient des trésors d’imagination pour se déguiser et se défouler en toute liberté avant de se plonger sans relâche et sans repos à la préparation de leur bachot.

         Avant une super soirée dans la cour du lycée, le programme prévoyait une chasse au trésor dans la proche forêt. Selon la consigne, la plupart des jeunes étaient déguisés, et bien souvent méconnaissables, en habitants de la forêt.

        C’est ainsi que le lapin côtoyait l’écureuil, le renard accompagnait la fée des bois, le champignon suivait la biche. Mais, sauf quelques exceptions, nul ne savait qui était qui.

       Le top de départ avait été donné aux groupes formés par tirage au sort, et, c’est 2 par 2, que tous s’étaient lancés dans l’expédition, à la recherche du trésor.

     Julie, de taille moyenne, avait opté pour un costume de biche. Un superbe maquillage, savamment réalisé à même le visage, défendait à quiconque de reconnaître la charmante jeune fille. Avec sa grâce naturelle et ses traits réguliers on devinait une personne gracile et réservée.

         Robin des bois, courait à ses côtés, une barbe de trois jours magnifiquement entretenue occupait une partie du visage. Derrière son masque marron, le regard d’un bleu profond, Romain, de son véritable prénom, remerciait le sort de lui avoir attribué une compagne pour cette randonnée à travers bois.

    Depuis leur départ, et bien que ne la reconnaissant pas, son mètre soixante quinze renforcé d’une autorité naturelle l’avait investi d’une mission spéciale : protéger Julie, et s’ils découvraient le trésor alors il aurait assuré... comme toujours.

       Mais n’était-ce pas son côté « super chef », pseudo donné par ses copains, qui s’imposait, instinctivement, une fois de plus ?

      Pas facile de se déplacer avec ces accoutrements et les inégalités des chemins, les racines aventureuses des arbres ajoutaient des difficultés à leur marche pourtant rapide et assurée.

         Ils n’étaient pas seuls, d’autres couples assortis suivaient leur plan, seuls les amis proches se reconnaissaient en se croisant, mais, pris par la frénésie de l’instant et du but, repartaient en suivant leur instinct de chercheurs.

       Romain, habité d’une folle énergie face à l’attrait du pactole et d’un nouveau succès, avait, tout en l’encourageant moralement, pris la main de Julie pour la guider, mais la fatigue aidant, se prenant le pied dans une racine, elle chuta, le lâchant brutalement. Il s’arrêta net.

         Par quel mystère, se retrouvèrent-ils enlacés, assis sous cet arbre, maudissant ensemble, cette racine malencontreuse ?

         Loin le trésor, loin le succès, ne restaient que deux êtres, abandonnés dans leur étreinte, inconnus mais si proches dans l’instant. Cupidon venait de lancer sa flèche, ils étaient seuls au monde, sous ce chêne, témoin certain de tant d’Amours naissantes.

            Lorsqu’elle partit vaillamment ce matin-là, Julie au côté de son binôme, ne se doutait pas que cette journée allait transformer sa Vie.

            La cour du lycée où se déroulerait la soirée, voyait revenir peu à peu les aventuriers, éreintés, plus ou moins dépenaillés, prêts de toute évidence à prolonger cette fabuleuse journée.

        Le trésor avait été trouvé et c’est dans une liesse à la hauteur de leur âge et de leur folie que les participants se préparaient à la plus exaltante soirée.

          Sa blessure à la cheville soignée, Julie arrivait en claudiquant au bras de son chevalier ; pour rien au monde elle n’aurait manqué les moments qui allaient suivre. Elle était sur un petit nuage, spectatrice ou actrice, elle ne saurait dire. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait libre, couvée du regard par ce garçon, encore illustre inconnu le matin et qui remplissait son cœur, ses yeux, sa pensée. Pour la première fois, elle était elle et non « la fille de ». Pour la première fois, elle envisageait un avenir serein, sans joug, sans obligation, sans contrainte. Elle était encore bien jeune et innocente du haut de ses presque dix neuf ans.

         Arrivée en cours d’année dans la ville et au lycée, elle suivait, par obligation, ses parents. Son père, ingénieur dans le génie civil, venait dans la région pour mener à bien la construction d’un pont autoroutier. Homme au caractère bien trempé, habitué à commander, ses aptitudes dans le travail n’étaient plus à démontrer. Elle et sa mère en faisaient les frais depuis toujours, car à la maison c’était le régime de la soumission sans demi-mesure qu’il leur imposait.

            Perdue dans ses pensées et son bien-être nouveau, elle s’était éloignée du groupe formé autour de Romain. Le « super chef » comme le nommaient ses copains était dans son élément, adulé par son entourage, courtisé par les filles, il savourait ces moments qui le rendaient important et puissant. Et, cerise sur le gâteau, ne venait-il pas de rencontrer la plus merveilleuse beauté de tout le lycée, un amour naissant, fragile et fort à la fois, aussi fulgurant que prémonitoire d’un Avenir ardent et passionnel ?

            Dans son for intérieur, Romain ne se posait pas de questions, il était sûr du devenir de cette relation naissante. Il savait que cette fille, serait sa compagne, son épouse, la mère de ses enfants.

            Issu d’une famille de vignerons, seul garçon et benjamin d’une fratrie de quatre, il avait dû s’élever seul ou chaperonné par ses soeurs, ses parents étant trop occupés à faire fructifier le domaine. Son indépendance et sa capacité à se sortir de toutes les situations lui avait procuré, au fil du temps, un sentiment de puissance et de résistance ; atouts majeurs de sa personnalité. A l’opposé, et depuis toujours, c’était un grand vide de considération et de reconnaissance de la part de ses parents qui l’obligeait à toujours et inexorablement montrer sa supériorité. Mais il n’en parlait jamais ; qui aurait pu comprendre ce manque dont il avait tant honte ?

         Comme un refrain, installé dans sa tête, souvent Julie se demandait comment elle avait pu vivre sans lui.

            Le BAC était loin maintenant, ils l’avaient eu "haut la main" et sans trop se poser de questions, leur parcours d’études ayant été brillant.

          Julie avait obtenu la mention « Très bien » procurant une légère déception à son compagnon. Ce n’était pas de la jalousie, quoi que ! Plutôt une blessure intérieure... Des deux, il n’était pas le premier et le vivait comme un échec malgré sa réussite...sans mention.

          Peu importait, cette distinction attribuée à Julie, d’une certaine manière il se l’attribuait. S’il n’avait pas été là pour la faire travailler pendant les révisions, l’aurait-elle eue ?

          Pauvre coquille vide, il avait le don de cacher ses états d’âme, s’appropriant ceux de Julie. Elle, ne s’apercevant de rien, continuait à profiter pleinement de ce bonheur qu’il lui apportait au quotidien, faisant fi de l’ambiance familiale dont elle s’isolait peu à peu.

            Parfois, elle s’inquiétait du sort de sa pauvre Maman, liée à tout jamais à ce tyran de mari. Sa mère n’avait, à aucun moment, envisagé, par crainte de représailles, de s’ouvrir d’autres portes.

Elle respectait ce choix, essayant de comprendre et de compatir. Ce n’était pas son Histoire, du couple que formaient ses parents, elle était le fruit, le prolongement d’un Amour supposé, dont elle n’avait pas été le témoin.

        Elle avait, en permanence, ce sentiment de culpabilité qui la tenaillait. Maintenant qu’elle était moins présente, de quoi pourrait être capable ce père et ce mari, habitué, par tous les moyens, à obtenir ce qu’il voulait. Son visage alors devenait triste et ses beaux yeux marron s’embuaient de larmes. Heureusement, Romain était là !

         Ils retournaient régulièrement sur le lieu de leur première étreinte. Le lendemain de la course, le chêne avait fait leur connaissance. Dorénavant, le cœur gravé sur son écorce protègerait ensemble les initiales de leurs prénoms. Ils s’étaient faits, ce jour-là, la promesse d’une flamme qui ne s’éteindrait jamais.

          Peu à peu, ils devenaient adultes responsables. Le temps de l’insouciance lycéenne laissait place au fil des jours à une maturité constructive. Le BAC était un tremplin plutôt qu’un aboutissement et leur choix de carrière et d’une Vie assurée, bien que pensées déjà depuis le collège, devenaient la priorité.

        Fort d’un avenir déjà tracé, Romain allait préparer, tout naturellement, un diplôme de management en entreprise. Ses parents vieillissant, demain il reprendrait l’administration des vignobles et des chais. Il se savait assez fort et puissant pour prendre la suite et savait inéluctablement qu’il porterait le domaine à bout de bras. Son père l’ignorait mais depuis sa plus tendre enfance, plus par défi que par amour filial, il engrangeait comme une formation personnelle toute la pratique et la théorie auxquelles il pouvait prendre part.

          Ses copains ne s’étaient pas trompés, dans des années, pas si lointaines, de « Maître Chef », il n’aurait pas que le surnom.

          Depuis toujours, Julie était attirée par la petite enfance. Elle qui avait grandi seule, recherchait la compagnie des bambins. Elle serait puéricultrice, son altruisme lié à un tempérament doux et patient, lui permettraient cet objectif. Sa demande de bourse refusée, elle devrait se prendre en charge financièrement, son père ayant refusé de l’aider.

           Ils s’étaient installés sur l’exploitation dans un petit studio réservé au maître de chai ; lui menant de front ses études et assistant son père au quotidien ; elle s’organisant plus difficilement, un travail à l’extérieur, sans véhicule, finalisant sa formation d’auxiliaire puéricultrice par correspondance.

 Pour lui, elle acceptait cette condition d’assistée, sa situation précaire, l’éloignement de ses proches et amies.

          Première vinification ; premier AOC : énorme succès. Il l’avait appelé : « COUP de FOUDRE ». Un Coup de maître dans un Foudre de chêne. Symbolique des mots, clin d’œil à leur première rencontre, gloire à son Moi.

Le « maître chef » était devenu « Maître de chai ».

        Exubérance égocentrique, ambition démesurée, reconnaissance de son Père, de ses pairs, tout cela avait un coût. Le matériel était assuré par le Domaine. Mais l’humain, où se nourrissait-il ?

La force morale de Julie était son exutoire. Et lui, Romain, son vide derrière le paraître se délestait en huis clos : tensions, contraintes, humiliations, brimades, injures, abus émotionnels étaient sa soupape insidieuse, sans trace et sans témoin. Où était son Romain ?

          Leurrée de promesses illusoires, esclave d’une prison dorée, éloignée sciemment de toute relation, Julie souffrait, s’étiolait. Depuis le début elle avait tout accepté !

          Petite fleur cueillie au pied du chêne, elle avait ce jour-là, perdu le contrôle de sa Vie.

            C’est par un coup asséné brutalement qu’elle fut projetée au sol, elle avait désobéi : la violence avait atteint son paroxysme.

           Naufragée en détresse d’un Amour illusoire, elle devait réagir. Où trouver la force ?

            Son désarroi l’amena auprès de leur chêne. Elle s’écroula net : sa réponse était là !

       L’arbre était à terre, fendu en deux, leurs initiales à jamais séparées : COUP de FOUDRE !

         Elle l’avait quitté pour retrouver sa Liberté. Comment avait-elle pu vivre avec lui ?

 

NB. : "Nouvelle" écrite dans le cadre de ma formation auprès du CNFDI (Centre de Formation à Distance)

 

 

Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :