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Une parenthèse pour écrire

LE CAMBRIOLAGE

 

          À cet instant, je sus que cette journée ne serait plus jamais comme les autres ! Jusqu’à ce matin-là, ma vie n’avait rien d’extraordinaire, la vie de tout un chacun, avec ses petits bonheurs, ses soucis, ses coups durs. Et pourtant, ce jour-là, mon quotidien, insipide et linéaire pris un chemin inattendu, rempli d’émotions et de surprises.

                               Vivant dans le sud de la France, la mer est un des grands amours de ma vie. J ‘ai la chance de ne l’avoir jamais perdue de vue.  Actuellement, l’émotion de la contempler me remplit encore de bonheur chaque matin. Je peux même entendre, quand le vent du sud souffle, le ressac des vagues sur les rochers blancs de la côte provençale, cette respiration infinie de la mer, immense masse grouillante de vie. Son parfum d’iode vivifiant attise l’énergie de chacune de mes cellules qui se déchaînent alors follement. Sans conteste, la mer est un élément indispensable à mon équilibre moral et à mon bien-être physique. Ainsi, à la belle saison, qui commence ici en mai pour se terminer, en général, fin octobre, je vais puiser dans la Méditerranée ma dose quotidienne de sensations.

                          Ce jour-là, comme d’habitude, en fin de matinée, je m’installe sur la toute petite plage de sable que je rejoins à pieds en partant de mon immeuble. Dès que ma natte est déroulée, je glisse mes vêtements dans le grand sac qui m’accompagne toujours. Je m’élance vers les flots mais, aujourd’hui le froid me saisit et m’oblige à repousser le moment où je pourrai m’immerger totalement. Alors, je prends le temps de recueillir un peu de cette eau salée dans la main et m’en inonde le visage. Je replonge la main dans l’onde et, cette fois, je porte son contenu, à ma bouche. Cette gorgée, prélevée dans le berceau de toute vie, est un véritable sérum de bienfaits, de bonheur, plus enivrante que le meilleur des crus. Peu à peu l’eau me semble moins froide, j’avance donc et m’enfonce dans l’onde avec délices. L ‘eau translucide laisse voir le fond ; il est tapissé de posidonies, longues algues qui, quand elles vous frôlent, semblent être un animal qui s’enroule autour de vos jambes pour vous attirer vers les profondeurs obscures. Tant de monstres marins hantent notre inconscient ! Que ce soit Collodi qui entraîne Gepetto dans les entrailles d’une baleine ou Ulysse qui ne résiste aux chants des sirènes que parce qu’il est attaché au mât de son navire ! La pieuvre géante de Jules Verne, tapie dans l’anfractuosité d’un rocher attend peut-être patiemment sa proie pour en faire un délicieux festin. Que de peurs ancestrales et de mythes véhiculés par la littérature meublent nos esprits à l’imagination si féconde ! 

                              Pendant que mon corps s’habitue peu à peu à la fraîcheur de l’eau, j’entends un rire enfantin. Je me retourne vers la plage, une jeune femme avec deux enfants arrivent. Elle porte péniblement d’un côté, un grand sac, de l’autre, elle tient précautionneusement le plus beau des bijoux : un bébé de quelques mois ! Devant elle, une petite fille de cinq ans environ saute et gambade joyeusement. Nous nous saluons d’un signe de tête assorti d’un sourire. En quelques instants, tout est en place ; l’abri pour le bébé, les nattes pour la fillette et elle. La crème solaire est généreusement passée sur le corps de la gamine, un chapeau rouge à pois blancs est vissé sur sa tête. Reste à gonfler la bouée qui, au fur et à mesure des efforts de la mère prend forme et se révèle être un crocodile vert fluo percé d’un large trou pour le corps.

                                Je reprends la tentative pour habituer mon corps à la température de l’eau, se mouiller la nuque est indispensable pour éviter le choc thermique. Je me rapproche ensuite des rochers qui affleurent, couverts d’une faune et d’une flore admirables.

Savoir observer est un don du ciel ; se pencher sur toutes ces formes de vies, totalement indifférentes à la frénésie humaine permet de retrouver la sérénité et le sens des priorités qui nous sont devenus hermétiques. Je suis totalement hypnotisée par l’agitation de ces minuscules êtres et la végétation dans laquelle ils évoluent.

                               Cependant, un clapotis attire mon attention, à quelques mètres de moi, je reconnais le petit chapeau rouge à pois blancs de la fillette et le crocodile vert fluo. Celui-ci est quasiment totalement dégonflé, le visage enfantin ne porte plus le beau sourire de tout à l’heure mais les traits sont figés par une vague de peur qui, peu à peu, monte en même temps que le petit corps s’enfonce dans l’eau. Mes yeux font un rapide aller-retour de la plage où se tient la mère au chapeau de la fillette.

Celui-ci, d’ailleurs, s’enfonce obstinément malgré les mouvements désordonnés des bras qui voudraient bien rester à la surface. En quelques rapides brasses, je suis tout près de la gosse qui se débat. Je passe mes bras sous les siens, la soulève un peu, l’appuie sur mon propre corps pour maintenir son visage hors de l’eau. Péniblement, je rejoins le rivage sous les yeux d’une femme d’une pâleur cadavérique et… muette ! La petite, délicatement posée sur le sable, reprend son souffle après avoir un peu crachoté l’eau qu’elle avait, bien involontairement, aspirée. Ouf ! elle n’a bu qu’une « tasse » ! Quelques paroles de réconfort sont autant pour elle que pour moi :

 -Tout va bien, n’aie pas peur ! dis-je

   La mère, après un temps qui m’a paru durer plusieurs dizaines de secondes, s’approche enfin, tend les bras et s’empare de sa fille comme si elle n’était pas plus lourde qu’une poupée de chiffons et l’embrasse frénétiquement.

La petite hoquette mais a repris des couleurs, comme sa maman d’ailleurs !

Celle-ci me regarde alors avec une expression inoubliable, mêlant gratitude et inquiétude. Ses mâchoires, serrées jusque-là, s’entrouvrent :

-Comment vous remercier ? Vous avez sauvé ma Juliette ! Je ne me le pardonnerai jamais !  J‘étais en train de changer son frère et je n’ai rien vu !

 Les mots ont aussi du mal à sortir de ma gorge, je bafouille quelques paroles puis, m’écroule sur le sable ; j’ai eu si peur pour cette petite ! La mère continue :

-Je m’appelle Lucie, je vous suis tellement reconnaissante ! Mon cœur était prêt à exploser quand je vous ai vue sauver ma fille. J’ai honte d’être restée sans pouvoir bouger, mais, la peur joue parfois de si vilains tours !

-Le principal est que maintenant, tout aille bien, dis-je, me sentant moi-même quelque peu tremblante.

- Mon époux va venir nous rejoindre, il sera heureux de savoir ce que vous avez fait…Et, peut-être même, que…, de vous rencontrer, atténuera un peu la terrible colère qu’il ne manquera pas d’avoir à mon égard ?

- Avec plaisir Lucie ! Moi, c’est Rebecca ! répondis-je en souriant.

                                              Cependant ses dernières paroles, me laissèrent songeuse, voire étonnée. Pourquoi tant redouter les manifestations de colère de son mari ?

Juliette, elle, a totalement récupéré et semble même avoir oublié sa mésaventure ; j’espère que cela ne se transformera pas, après coup, en une phobie de la mer ! Allongée sur ma natte, mon cœur reprend un rythme normal, les doux rayons du soleil chauffent ma peau. J ‘ai, moi aussi, besoin de me remettre de mes émotions, quelques minutes de calme sont les bienvenues !

                                                                  Peu d’instants s’écoulent, un homme de taille moyenne, brun, les yeux verts, arrive. Il s’approche de Lucie, lui dépose une bise hâtive sur la joue, ouvre les bras vers les deux gosses et les embrasse tendrement. Lucie est tendue, son regard inquiet fait des va-et vient entre son époux et moi. De toute évidence, elle redoute la réaction de son conjoint au récit de la mésaventure de Juliette, elle ne sait pas comment aborder la chose sans provoquer l’éruption redoutée !

                           De mon côté, je reste dans l’expectative. Jamais je n’avais eu à faire face à une telle situation ! Est-ce à moi d’intervenir d’abord ?  Rien n’est moins sûr ! Les yeux de Lucie, eux, semblent me supplier. Les deux enfants sont sagement assis, plongeant leurs petites mains dans le sable puis, laissant les grains s’écouler entre leurs doigts. Percevant la crainte et la tension grandissantes, je me décide : je vais parler la première ! Rapporter les faits en gommant les aspérités de la réalité évitera peut-être de provoquer la fureur redoutée du père.

En souriant, je me lève et accroche mon regard à celui de Juliette qui me rend mon sourire. - -Alors tu viens avec moi dans l’eau comme tout à l’heure ? dis-je à la gamine

Le père sursaute et le vert de ses yeux me transperce. Étonnée moi-même de ma propre audace, je fais quelques pas dans la direction de la petite famille et continue vaillamment mon monologue, mais cette fois -ci en m’adressant au géniteur.

- Bonjour ! Je me baignais quand votre fille est venue à côté de moi car elle a eu très peur d’une algue qui s’était entourée autour de sa cheville, elle a bu une bonne « tasse » ! Je l’ai rassurée en lui expliquant que ce qu’elle avait pris pour un animal n’était qu’une longue algue fréquente ici et nous sommes revenues sur la plage.

Le père, demeure muet, regarde sa femme qui, elle, semble n’avoir plus foi qu’en mes paroles... Je poursuis donc :

 -Comme je retourne ma baigner, cela me ferait plaisir que Juliette m’accompagne, j’ai vu tout à l’heure, un crabe à l’affût dans le petit trou d’un rocher, nous réussirons peut-être à l’attraper !

Ouf ! je suis allée jusqu’au bout sans trop d’hésitations et mon histoire tient globalement la route !

-Je vous remercie, votre proposition est vraiment très aimable, mais je vais emmener moi-même ma fille dans l’eau et m’amuser avec elle maintenant que je suis là !

                               Je fais donc machine arrière et retourne dans l’eau sans même m’apercevoir de sa température qui, tout à l’heure m’a pourtant freinée dans mon élan. Je fais quelques brasses pour me donner une contenance avant de ressortir, me sécher, me rhabiller et retrouver le chemin de la maison après avoir osé un « au revoir » général. 

                                                             

 Cette baignade, pleine d’imprévus me laissa une irrépressible sensation de malaise, mâtinée de tristesse. C ‘était la première fois que je portais secours à quelqu’un ! Donc, j’étais presque fière de moi, une journée à marquer d’une pierre blanche, mais, l’attitude de Lucie laissa quelques marques grises sur mon exploit du jour.

                             Puis, la vie reprit son cours, et, bien que, retournant chaque jour sur la plage, je ne revis plus ni Juliette, ni Lucie, ni le père. Les semaines s’écoulèrent alors paisiblement, laissant l’automne s’installer sur les bords de la Méditerranée.               

                                   Le déroulement tranquille de ma vie fut troublé un matin, très tôt, par le téléphone : c’était mon père avec une voix peu habituelle qui appelait

-   Allô ! Rebecca ! Des cambrioleurs sont entrés dans la maison ! J’ai entendu du bruit, je me suis levé et ai trouvé deux hommes dans le bureau ! Ils ont été surpris de me voir face à eux, ils m’ont assommé et ta mère, qui arrivait sur mes talons, s’est évanouie en les voyant ! Maintenant, j’ai un bon mal de tête, ta mère, elle, reprend ses esprits tout doucement !

- J’arrive ! dis-je affolée par ce que je venais d’entendre. J’enfilais un jean et une chemise, sautais dans la voiture et parcourais vivement les dix kilomètres pour arriver à la maison paternelle.

             Rendue sur les lieux, je trouvais mes parents assis dans la cuisine, mon père tenant sur sa tête un sac rempli de glaçons, ma mère, toute pâle, retrouva son beau sourire en me voyant !

Je regardais autour de moi, la maison était dévastée mais eux, ne semblaient pas être gravement blessés ! Une chance ! Les intrus avaient tout chamboulé à la recherche d’objets précieux. Ils en avaient été pour leurs frais, à part quelques billets et leurs deux montres, d’objets précieux il n’y en avait pas, il n’y en avait jamais eu !

                  Heureusement, à part le coup sur la tête, il n’y avait eu aucune autre violence et mon père semblait avoir repris son allant habituel. Ma mère, elle, était encore un peu pâle mais, mon arrivée lui avait rendu sa sérénité. Je me précipitais vers eux, les serrais dans mes bras. Paradoxalement, j’étais contente ! Contente qu’ils aillent bien !

                         Soudainement, une idée me percuta comme un éclair : il fallait appeler la police ! Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Je saisis mon portable, trouvais le numéro de notre gendarmerie et appuyais sur le petit symbole d’appel. Après les habituelles minutes passées à écouter le serveur vocal, j’entendis enfin une voix vraiment humaine ! Je déclinais mon identité, décrivais la situation et donnais l’adresse.

-La police arrive dans quelques instants ! m’écriais-je dès que la communication fut terminée.    -Ne touchons à rien, les gendarmes trouveront peut-être un indice, dis-je ensuite, le cœur battant la chamade, réaction bien tardive, assortie d’un nœud douloureux à l’estomac !                                                 

- Même s’ils ne trouvent rien, je les ai parfaitement vus et peux les décrire sans erreur ! claironna mon père à ma grande surprise.

                Après la visite des forces de l’ordre, nous voici l’après-midi même à la gendarmerie pour signer le dépôt de plainte et le rapport établis suite à leur visite. Le gendarme qui nous recevait proposa ensuite à mon père de consulter le fichier-photos dont il disposait pour tenter une identification. Bien qu’encore troublé par l’intrusion du matin, bravement celui-ci s’assit face à l’écran et scruta les visages qui défilaient. Tout à coup, un cri sortit de sa bouche :

-C’est lui ! C’est lui qui m’a assommé ! dit-il en pointant l’index vers la dernière photo présentée.

                 Je m’approchais de l’ordinateur et posais les yeux sur un visage, un visage déjà vu…

Celui du père de Juliette !!!

À cet instant, je sus que cette journée ne serait plus jamais comme les autres !

 

La consigne : La nouvelle doit obligatoirement débuter par l'incipit suivant : "A cet instant, je sus que cette journée ne serait plus jamais comme les autres." Avec comme conditions :  entre 3 et 5 pages dactylographiées - peu de personnages- le titre contient la chute, sans la dévoiler - aller à l'essentiel - choisir un ton et s'y tenir - la "chute" doit être inattendue...

 

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